HAUCOURT JUDO
Haucourt-Judo

L'historique du judo

L'HISTOIRE DU JUDO

Qu'est-ce que le judo? Une enquête faite dans le grand public a démontré qu'on s'en faisait une idée souvent déformée. Voici quelques définitions reçues : 

·       Un sport de combat, comme la boxe, la lutte, l'escrime, etc.

·       Une mystérieuse méthode chinoise ou japonaise permettant de terrasser n'importe quel adversaire par des « prises secrètes » très dangereuses.

·       Une sorte de maffia de la secte bouddhique Zen, qui se propose de dominer le monde;

·       Un système d'entraînement du corps et de l'esprit, semblable au yoga : des techniques invulnérables de self-défense doublées de mystérieuses pratiques de développement mental;

·       Une gymnastique orientale, de la boxe chinoise, des combats ésotériques tibétains, du catch perfectionné, du ju-jitsu adapté par les Américains, etc.

Tout cela est évidemment loin de la vérité.

La réponse est infiniment plus simple. Judo (prononcez djioudo) est un mot japonais se décomposant en ju et do. Ju signifie souplesse, non-résistance, douceur. Do se traduit par chemin ou voie. Le judo est donc la "voie de la non-résistance" ou la "voie souple", la voie qui mène à une vie équilibrée en utilisant une méthode d'éducation physique et mentale basée sur une discipline de combat à mains nues. Le principe même de ce combat est la non-résistance: céder à la force adverse, pour la déséquilibrer, la contrôler et la vaincre avec un minimum d'efforts. Veut-on une comparaison?

          Un homme s'arc-boute contre une porte qu'il veut enfoncer, Celle-ci n'est pas, comme il le supposait, verrouillée. Sous la poussée, la porte cède. Surpris, l'homme est entraîné par son élan, perd l'équilibre et roule à terre : la porte a utilisé le principe du judo!

          Le principe est également vrai pour la traction. Supposons un combattant de 60 kg saisi au revers du veston par un adversaire de 100 kg. Ce dernier tire de tout son poids sa victime vers lui; il est évident que l'assailli ne pourra opposer victorieusement ses 60 kg aux 100 kg de son adversaire. Celui-ci l'entraînera immanquablement avec une force de 100 - 60 = 40 kg. Mais si la "victime", au lieu de résister de tout son poids à l'adversaire, cède à cette traction et se déplace rapidement dans la direction agresseur, celui-ci, surpris par son excédent de force, basculera en arrière avec une force de 100 + 60 = 160 kg! Le poids plume se sera transformé en un redoutable poids lourd.

          Ainsi, le judo se propose de vous faire découvrir et développer vos aptitudes et de les utiliser dans la vie quotidienne avec un maximum d'efficience.

          Comment naquit le judo? Quelles sont ses origines? Comment se développa-t-il? Répondre à ces questions est le but de ce chapitre.

          Si le judo proprement dit est d'histoire simple et récente, il n'en est pas de même de ses origines qui se perdent dans la nuit des temps. Le manque de documents probants oblige les historiens à recourir à des approximations, à des hypothèses, voire même à des légendes.

SON ORIGINE

         Le judo moderne, tel qu'il est pratiqué dans le monde entier, ne date que de 1882. Il dérive néanmoins de manières de combattre qui eurent leur vogue au XVI" siècle, en pleine féodalité nippone. Cet art guerrier de lutte corps à corps est généralement dénommé ju-jitsu ("technique de la souplesse").

         Quelques historiens japonais disent que le ju-jitsu existait déjà en 660 avant notre ère. Mais le plus ancien récit de lutte qui nous soit parvenu, relate un combat entre deux lutteurs redoutables, se déroulant devant l'empereur Suinin, vers 230 avant J.-C. Ces deux adversaires célèbres, Nomi-No-Sukume et Taima-No-Kuemaya, se livrèrent un combat sans merci, où les techniques employées tenaient à la fois du sumo (lutte de force japonaise), ju-jitsu et du karaté (savate japonaise). Le vainqueur, Nomi-No-Sukume, gagna en tuant son adversaire à coups de pieds!

         A cette époque, le combat en corps à corps n'obéissait à aucune règle: l'art du combat à mains nues n'était pas encore né. Puis diverses techniques assez confuses virent le jour. Elles se divisaient en deux groupes: la lutte pure, d'une part, et un début de ju-jitsu, d'autre part. La première utilisait la force contre la force; l'autre la ruse, l'habileté et la technique, face à un adversaire puissant ou armé. Comment naquirent ces techniques propres au ju-jitsu? Il faudra tenter d'en trouver l'explication dans les contes, dont les récits séduisants recèlent quelques vérités historiques. Trois légendes nous parlent des origines probables du ju-jitsu; elles se situent entre les XIV' et XVI' siècles.

Les cerisiers et le saule

Près de Nagasaki vivait un médecin philosophe nommé Shirobei-Akyama. Il était convaincu que l'origine des maladies humaines est la mauvaise utilisation du corps et de l'esprit. Ce précurseur de la médecine psychosomatique partit pour la Chine où, disait-on, les techniques thérapeutiques faisaient merveille. Il étudia les principes du tao, l'acupuncture et quelques prises du fameux wushu, lutte chinoise qui utilise les projections, les luxations et les coups, et créée par un médecin pour rétablir rapidement les convalescents et développer harmonieusement le corps.

Rentré au Japon, Shirobei-Akyama enseigna à quelques disciples une vingtaine de techniques de réanimation et trois ou quatre attaques basées sur l'endommagement de certains points vitaux. Il avait compris le principe positif de la philosophie du tao, ainsi que ses applications pratiques en médecine ou en lutte. Au mal, il opposait le mal, à la force, la force. Mais, devant une maladie difficile à définir ou trop puissante (ou un adversaire trop fort), les principes chinois ne tenaient plus. Les disciples du médecin se découragèrent et l'abandonnèrent. Celui-ci, perplexe, se retira dans un petit temple et s'imposa une méditation de cent jours.

Au cours de cette ascèse, l'esprit de Shirobei atteignit une tension extraordinaire. Tout fut remis en question: la philosophie chinoise ying et yang, l'acupuncture qui en découle et enfin toutes les méthodes de combat. La question finale qui le torturait était celle-ci: "Si, lorsque j'attaque, je suis positif, je suis, par contre, négatif lorsque je subis une attaque. Or opposer une action à une action n'est fructueux que si ma force est supérieure à la force adverse. Comment être dans ce cas négatif (en défense) tout en gardant l'initiative de l'action? Puisque l'action positive est toujours annihilée par une action positive plus importante, comment subir celle-ci tout en la maîtrisant?"

Il se promenait un matin dans le jardin du temple, alors qu'il neigeait en abondance. Il écoutait le craquement des branches de cerisiers ployant sous la neige. Puis, il vit un saule au bord de la rivière. Le poids de la neige courbait les branches. Le bois souple se débarrassait alors de son fardeau, puis reprenait sa position première.

Ce fut l'illumination!

Au positif, il faut opposer son complément: le négatif. A la force, il faut réagir par la souplesse. Si un assaillant vous pousse, ne lui opposez pas votre force, car si la sienne est supérieure, vous risquez d'être terrassé. A la poussée, cédez rapidement par un prompt et inattendu recul. Votre adversaire aura enfoncé une porte ouverte et, déséquilibré, il choira à vos pieds. Si, au contraire, un adversaire vous tire vers lui, ne vous raidissez pas en une vaine résistance. Bondissez dans le sens de sa traction et, là encore, profitez du déséquilibre de l'agresseur pour le terrasser sans grand effort.

Le médecin de Nagasaki perfectionna alors l'attaque et la défensive en corps à corps et créa quelques centaines de prises.

Ses disciples propagèrent son enseignement sous le nom de Yoshin-Ryu ou de "Ecole du Cœur de Saule".

Le redoutable secret du moine chinois

En 1650, un bonze chinois s'installa dans la région d'Edo (aujourd'hui Tokyo), au temple Kokushoji. Fin lettré, Chen Young Ping se proposait d'enseigner aux Japonais cultivés la calligraphie, ainsi que la philosophie chinoise. Vivant seul dans une dépendance retirée du temple, ce curieux bonze n'était visible qu'aux seules heures où il enseignait.

A cette époque, Edo était considérée comme la capitale militaire de l'Empire et, de ce fait, la région était très fréquentée par les samouraïs, célèbres équivalents de nos chevaliers du moyen âge. Ils excellaient dans tous les arts guerriers et perfectionnaient sans cesse leurs techniques de combat. Parmi eux, une classe inférieure était chargée de jouer bien souvent le rôle de «force de l'ordre» et, ainsi, de se livrer à de nombreux combats en corps à corps.

Or, un soir de 1658, trois kachis (samouraïs inférieurs portant deux sabres, mais ne montant pas à cheval) escortaient, dans les ruelles obscures d'Edo, Chen Young Ping. Ce dernier venait de donner des leçons à un haut fonctionnaire du Shogun. Pour son retour, il s'était vu dans l'obligation d'accepter une escorte afin que rien de fâcheux ne lui arrivât pendant son voyage nocturne. Mais, précisément, il lui advint une aventure peu banale. Alors que le petit groupe franchissait les remparts de la ville, des bandits armés les attaquèrent. Nos trois kachis, avec une rapidité fulgurante, dégainèrent leur sabre et entourèrent le bonze. Une bataille rangée s'ensuivit. Certains agresseurs étaient armés de bâtons, d'autres de couteaux. Après un combat acharné, les kachis furent désarmés: il fallait passer au corps à corps. C'est alors que l'incroyable arriva. Rapide comme l'éclair, notre paisible et studieux Chinois s'élança vers les agresseurs. Avec une habileté incroyable, il mit à mal un premier bandit; en quelques secondes, un deuxième. Un troisième fut mis hors combat avant de se rendre compte de ce qui lui arrivait. Surpris, puis terrorisés, les autres brigands s'enfuirent.

Abasourdis, les trois samouraïs n'en croyaient pas leurs yeux. Pleins d'admiration pour le bonze, ils le reconduisirent au temple et lui demandèrent de leur livrer le secret de sa force. Mais, tout le long du chemin, Chen Young Ping garda le silence. Rendu à bon port, il salua cérémonieusement ses gardes et se retira pour la nuit. Les trois kachis décidèrent d'en savoir davantage et s'endormirent devant la porte du temple. Le lendemain, s'adressant au bonze, ils renouvelèrent leur prière. Le sage sourit et leur dit que son art n'était pas pour des esprits simples, mais pour des âmes fortes. Les samouraïs s'engagèrent aussitôt à faire ce qu'il fallait pour s'initier à cette technique stupéfiante dont ils avaient été les témoins. Voyant leur enthousiasme, Chen Young Ping décida de les prendre pour disciples. Après une longue période d'instruction, il prit chaque kachi à part et, dans le plus grand secret, lui enseigna quelques prises redoutables. Chaque kachi étudia une méthode différente : l'un se spécialisa dans les projections, l'autre dans les luxations et étranglements et le troisième dans les coups frappés sur les points vitaux. Chacun s'en alla bientôt à travers le Japon pour enseigner.

La vision de Takenuchi

Cette histoire semble, à première vue, avoir moins de rapport avec le ju-jitsu. Elle renseigne néanmoins sur l'origine d'une école importante qui influença le ju-jitsu antique. Son enseignement a été transmis jusqu'à nos jours par tradition orale.

Le fondateur de cette école se nomme Takenuchi Hisamori. Il excellait dans l'art du jo-jitsu (bâton). Désireux de se perfectionner, il fit une retraite dans un temple perdu dans la montagne, où il s'appliqua à l'étude de la technique d'attaque du bâton et s'y exerça en frappant sans arrêt un gros arbre. Debout, l'arme à son côté, il se concentrait, puis brandissait un bâton en se déplaçant avec souplesse vers le côté de l'arbre pour le frapper avec force et célérité. L'attaque ne devait durer qu'une fraction de seconde. Cette forme d'uchi-komi (exercice d'entraînement) était un exercice physique et psychologique. Après avoir appris comment se déplacer correctement, comment frapper avec précision, en alliant la vitesse et la force, il parvint à faire ses exercices dans un état mental de vacuité parfaite.

L'homme se livrait à cet exercice des heures durant, sans prendre de repos. Un soir, complètement épuisé, il se laissa glisser au pied de l'arbre et s'endormit. Aussitôt sortit on ne sait d'où un mystérieux moine errant, qui expliqua au dormeur qu'il devait réduire la longueur de son bâton pour gagner vitesse et précision. Il lui montra comment se déplacer plus aisément, profiter des erreurs de l'adversaire et employer soit un bâton court, soit une épée très courte. Pour terminer, il lui enseigna cinq manières d'immobiliser un adversaire. Puis l'étrange personnage disparut. En réalité, le cerveau de Takenuchi venait d'opérer la synthèse de tous les réflexes accumulés par l'expérience. L'homme ne tarda pas à appliquer son savoir et créa le gokusoku ou "art de combattre en tenue légère" (sous-vêtement de l'armure de guerre). Ces techniques permirent de développer les arts martiaux, tels que l'aïki-jitsu, le tam-bô, etc. L'influence de cette école sur le ju-jitsu fut indéniable.

LA PREHISTOIRE

La lutte est un des plus vieux sports du monde. Mais, au début des temps, on ne parlait pas de «sport»; c'était simplement le moyen de faire entendre raison à autrui par la force. Parfois même, le but était de supprimer un ennemi. Dans toutes les régions du globe, chaque peuplade possédait une méthode plus ou moins élaborée de combat, qui s'améliorait avec les progrès de la civilisation. Les Chinois et les Egyptiens utilisaient déjà de remarquables techniques de lutte.

Le Japon, durant des millénaires, vécut isolé du restant du monde. Au Ve siècle, la civilisation chinoise pénétra par la Corée et modifia profondément la culture nippone. Cet événement eut des répercussions intenses sur l'histoire du pays, d'autant plus que les monarques envoyèrent à maintes reprises des missions culturelles en Corée ou en Chine, afin de consolider et d'approfondir les sciences acquises.

Le Japon vécut sous un régime féodal. Dirigé par l'empereur, c'était en fait un gouverneur militaire qui commandait: le Shogun. Le pays était divisé en districts militaires appartenant à des vassaux du Shogun: les Daymios. Ceux-ci étaient des guerriers redoutables.

La lutte en corps à corps et les autres arts martiaux y trouvaient un terrain merveilleux pour se développer. Chaque classe de guerriers possédait ses techniques et ses armes de combat. Les cavaliers excellèrent dans le combat à la lance et au long sabre, les fantassins firent de l'escrime au sabre court et les manants devinrent experts au maniement du bâton.

D'autres armes étaient utilisées suivant les régions ou la classe sociale: on vit des spécialistes du poignard, de l'arc, de la faucille de guerre, de la massue, de l'éventail de fer, etc... Parfois, armes brisées, il fallait continuer à mains nues. Des mêlées acharnées s'ensuivaient et, pendant quelque huit cents ans, la technique du corps à corps progressa lentement. L'apport de la culture chinoise en matière de combat à mains nues fut considérable. La Chine appliquait des méthodes perfectionnées de lutte: sa philosophie, sa médecine et sa science en général avaient distillé une terrible méthode de combat.

La lutte chinoise comme la médecine s'appuyaient sur la philosophie du tao pour concevoir une méthode de recherche théorique et d'action pratique.

Les sages considéraient l'univers et tout ce qui s'y trouve comme une union harmonieuse de deux forces contraires : le yin et le yang.

Sont yin : le froid, l'état liquide, l'obscurité, le noir, l'expansion, le vide, la souplesse, la douceur, le passif, le négatif.

Sont yang : le chaud, l'état solide, la clarté, le blanc, la compression, la plénitude, la résistance, la force, le positif. Mais rien dans l'univers n'est absolument yin ou yang. Chaque chose est à la fois yang et yin. Un homme est mâle et femelle, et son harmonie supérieure dépend de l'équilibration de ces deux tendances. Il est alors «complet» par lui-même, unifié. Rien n'est absolument stable ou fixe. L'univers ne connaît aucun repos. Toute chose est en équilibre entre les forces négatives et positives.

La maladie, pour les Chinois, est une rupture de cet équilibre. La guérison ne peut se faire que par une répartition judicieuse des influx vitaux : positifs et négatifs. Le médecin chinois canalise cette énergie en piquant les points sensibles de l'organisme du malade (acupuncture)

Ces points vitaux, parfaitement étudiés, permirent de découvrir des centres réflexes de réanimation ou, au contraire, de perte de conscience, voire de mort. Certains guerriers mirent au point des coups dangereux qui atteignaient ces centres.

D'autre part, la tactique du combat s'imprègne des principes de dualité complémentaire. Si l'agresseur est positif, la victime est négative et, dans ce cas, toute la science est de garder un certain équilibre des forces antagonistes, afin de maîtriser le déroulement du combat. C'est ainsi que les Chinois développèrent deux méthodes de combat : l'une positive (d'attaque) et l'autre négative (de défense). Cette dernière consistait à épuiser l'adversaire par la non-résistance.

A chaque coup porté, rencontrant le vide, l'agresseur s'essoufflait rapidement et devenait très vulnérable. De positif (force, plénitude, dureté), il devenait négatif (faiblesse, vacuité, mollesse) et pouvait être rapidement maîtrisé par une attaque positive. Cette théorie ne fut pas comprise immédiatement par tous les guerriers japonais. La peur de perdre, la foi en leur force ou, au contraire, la surestimation de l'adversaire, la crainte de la mort paralysaient leur esprit. Les techniques positives furent bien vite assimilées et l'on vit se développer les atémis (voir chap. « La self-défense »), et quelques attaques directes. Ces méthodes de combat furent à la mode jusqu'au XVIIe siècle, puis, peu à peu, la technique s'améliora. Lors de la création du bushido, le ju-jitsu devint réellement la « pratique de la souplesse ». Jusqu'alors, les samouraïs avaient méprisé cette forme de lutte et ne la considéraient applicable qu'à la classe inférieure des samouraïs (ceux qui allaient à pied).

Mais, peu à peu, la culture bouddhique influença considérablement le climat spirituel de l'élite des guerriers.

Ceux-ci, les bushis, se soumirent à des règles sévères de vie et jurèrent fidélité à un code d'honneur très rigoureux : le bushido (la vois du guerrier).

Ce code imprégna pendant longtemps l'esprit des nobles samouraïs et enseigna, jusqu'à nos jours, aux Japonais ses vertus chevaleresques. Depuis le XIIe siècle, une secte bouddhique (Zen), éduquait l'élite des guerriers. Elle ne s'embarrassait ni de doctrine, ni de dogmes; une seule chose comptait pour elle : la réalité. Le but que visait le Zen était d'amener tout individu à un état mental spécial appelé satori.

L'individu perdait la conscience d'être et saisissait l'univers d'une manière directe (intuitive). Pour atteindre cet état exceptionnel de libération, le disciple devait s'adonner à une ascèse extraordinaire. Pourquoi les samouraïs s'intéressaient-ils au Zen? D'abord, parce que l'entraînement au Zen les libéraient des idées préconçues, des angoisses, de l'égoïsme mesquin, de la peur de la mort. Mais aussi parce que l'ascèse Zen, libérant l'individu, permettait l'action directe. L'acte spontané sans intervention de la conscience était alors possible. Ceci devait améliorer considérablement toute action humaine et, en particulier, les techniques guerrières. Arrivé à la perfection technique, un escrimeur, par exemple, ne peut se surpasser qu'en améliorant son état psychologique. C'est ce que comprirent les maîtres du Zen. Bientôt les bushis devinrent des espèces de moines guerriers, qui repensèrent leurs techniques de combat. Le XVIIIe siècle fut particulièrement riche en écoles de ju-jitsu. L'entraînement et la morale spartiates qu'impliquait le bushido formèrent des guerriers au corps merveilleusement développé et aguerri. L'ascèse Zen, d'autre part, libérait l'esprit de toutes les entraves anciennes. Cette époque fut celle où se créèrent des centaines de prises et de nombreuses techniques d'attaque et de défense. A l'instar des corps, les esprits étaient devenus aussi souples que le saule. Toutefois, chaque école, chaque maître gardait jalousement les secrets laborieusement mis au point. En temps de guerre, nécessité fait loi et il n'était pas question d'aller montrer au voisin (peut-être un futur ennemi) ses armes secrètes.

Aussi l'initiation à ces prises redoutables s'opérait-elle dans le plus grand mystère et bien peu d'écoles écrivirent leur enseignement. La transmission était presque toujours orale. Cet état de choses se prolongea jusqu'à la fin de la période féodale (1867); et, de nos jours encore, certaines vieilles écoles de ju-jitsu conservent jalousement leurs secrets.

DE 1882 A NOS JOURS

L'empereur Mutsu-Hito (1867-1912) introduisit au Japon la civilisation occidentale. En quelques années, le pays adopta les sciences, les arts et les techniques de l'Europe. L'engouement fut extraordinaire.

Par voie de conséquence, tout ce qui datait de l'ancien régime fut considéré d'un mauvais œil. C'est ainsi que les arts martiaux furent abandonnés avec mépris. Déjà, depuis l'introduction des premiers fusils à mèches par les marins portugais (XVIe siècle), les armes blanches et les méthodes de lutte avaient été peu à peu délaissées. Seuls les samouraïs y restaient fidèles. Les spécialistes du ju-jitsu furent contraints de donner des leçons pour vivre. Les plus célèbres maîtres de l'époque enseignèrent leur art à certains corps spéciaux de l'armée ainsi qu'à la police. D'autres ouvrirent des écoles privées.

Mais cette rage de « vivre à l'occidentale » amena rapidement un relâchement des mœurs. La tradition chevaleresque disparut rapidement, entraînant avec elle les arts martiaux.

Jigoro Kano, fondateur du judo

Tout cela serait oublié à jamais, si un homme n'avait remis tout en question. Il s'appelait Jigoro Kano, né le 18 octobre 1863 à Mikage, dans le district de Hyogo. Il était le troisième fils de Jirosaku Mareshiba Kano, intendant naval du Shogunat Tokugawa.

Voici les grandes étapes de sa vie :

• entre à l'université impériale de Tokyo en 1877 • devient l'élève du maître Fukuda (ju-jitsu) • fonde, en 1878, le premier club de base-ball au Japon (Kasei Base-ball Club) • en 1879, étudie le ju-jitsu chez le maître Iso • en 1881, est licencié es lettres et étudie le ju-jitsu de l'école de Kito • en 1882, termine ses études de sciences esthétiques et morales • fonde, la même année, sa propre école de ju-jitsu, le Kodokan, au mois de février. En août, est nommé professeur au Collège des Nobles • en 1884, est attaché à la Maison impériale • l'année suivante, obtient le 7' rang impérial • en 1886, obtient le 6' rang impérial; est nommé vice président au Collège des Nobles; est nommé recteur de ce même collège en 1888 • de 1889 à 1891, parcourt l'Europe comme attaché au ministère de la Maison impériale • en avril 1891, est nommé conseiller du ministre de l'Education nationale • est nommé directeur de l'Ecole normale supérieure en septembre 1893, puis secrétaire du ministre de l'Education nationale • obtient le 5è rang impérial en 1895 • crée, en 1897, la société Zoshi-Kai et fonde l'institut Zenyo Seiki, Zenichi, etc. pour la culture des jeunes; édite la revue « Kokusiai » • en 1898, est directeur de l'Education primaire, au sein du ministère de l'Education nationale devient président du Comité du Butokukai (Centre d'étude des arts militaires), en 1899 • est envoyé, à deux reprises, en Chine par le ministère de l'Education nationale (1902-1905) • en octobre 1905, obtient le 4e rang impérial • fonde au Butokukai les trois premiers katas du judo, en 1907 • modifie les statuts du Kodokan pour en faire une société publique en 1909. Devient le premier japonais membre du Comité international olympique • en 1911, est élu premier président de la Fédération sportive du Japon • en 1912 et 1913, est envoyé en mission culturelle en Europe et en Amérique • crée, en 1915, la revue du Kodokan. Reçoit, la même année, du roi de Suède, la médaille des T Jeux Olympiques • en 1920, se consacre entièrement au judo. En juin, assiste aux Jeux Olympiques d'Anvers, puis visite l'Europe • en 1921, démissionne de la présidence de la Fédération sportive du Japon • en 1922, siège à la Chambre Haute • en 1924, est nommé professeur honoraire de l'Ecole normale supérieure de Tokyo • en 1928, participe à l'assemblée générale des Jeux Olympiques et aux Jeux eux-mêmes • se rend aux Etats-Unis en 1932 pour assister aux Jeux Olympiques. Devient conseiller au cabinet de l'Education physique du Japon; participe à deux reprises au Conseil des Jeux Olympiques, qui lancera les invitations pour les Jeux japonais (1932-1934) • en 1936, assiste au XI' Jeux Olympiques de Berlin • le 4 mai 1938, meurt sur le navire qui le ramenait du Caire où avait eu lieu l'assemblée générale du comité international des Jeux Olympiques • reçoit, à titre posthume, le 2' rang impérial.

 Comment Jigoro Kano a-t-il pu mener de front une vie publique aussi absorbante et le lancement du judo dans le monde? C'est toute une histoire.

Délicat de santé, le jeune Kano ne mesurait qu'un mètre cinquante et pesait à peine 48 kg. A 16 ans, il décida de fortifier son corps, par la pratique de la gymnastique, du rowing et du base-ball.

Mais ces sports s'avérèrent trop durs pour sa faible constitution. De plus, lors de querelles entre étudiants, Kano était toujours battu. Blessé dans sa fierté de fils de samouraï, il se décida d'étudier le ju-jitsu. Son premier professeur fut Hachinosuke Fukuda, de l'école Tenjin-Shinyo-Ryu (1877). Sous la conduite de ce maître, Kano s'initia aux mystères du ju-jitsu de l'Ecole du Cœur de Saule. En 1879, âgé de 82 ans, Fukuda mourut et Kano hérita de ses archives. Il devint ensuite l'élève du maître Iso, un sexagénaire qui gardait le secret d'une école dérivant également de Tenjin-Shingo. Jigoro Kano s'entraîna tout en poursuivant ses études et devint bientôt le vice-directeur de l'école. Malheureusement, Iso mourut bientôt et notre jeune ju-jitsuka (expert en ju-jitsu) se trouva à nouveau sans professeur. Il dévora tous les livres et documents, mais un bon professeur lui restait indispensable. C'est alors qu'il rencontra le maître likubo, qui lui apprit la technique de l'école de Kito. Jusqu'ici, Il avait travaillé les luttes en corps à corps avec des vêtements de ville; l'école de Kito allait lui enseigner le combat avec armure.

Peu à peu, Kano fit la synthèse des diverses écoles et voulut créer sa propre discipline, tout en s'entraînant avec le maître likubo jusqu'en 1885. En février 1882, il s'installait, âgé de 22 ans, dans le petit temple bouddhique d'Eishosi, secte Jôdo. C'est dans ce temple, berceau du judo, que Jigoro Kano installa son premier dojo (salle où l'on étudie la « Voie »).

Habitant dans les dépendances du temple avec quelques élèves et une vieille servante, il se mit patiemment à élaborer sa nouvelle méthode.

Quel but visait-il? Mettre au point un système d'éducation physique et de formation du caractère, basé sur le ju-jitsu. Mais cette technique possédait de grandes qualités et de grands défauts. Il fallait l'élaguer et en faire un moyen d'entraînement similaire à celui de certains sports occidentaux.

Kano fit la synthèse des meilleures techniques de ju-jitsu. Il choisit les prises les plus efficaces et les plus rationnelles. Il élimina les pratiques dangereuses et peu compatibles avec le but élevé qu'il visait. Il perfectionna la manière de tomber et inventa le principe des brise-chutes. Il créa un vêtement spécial d'entraînement (le judogi); l'antique tenue des ju-jitsukas provoquait fréquemment des blessures. Il mit particulièrement au point les méthodes de projections, en inventant d'ailleurs quelques-unes.

Le ju-jitsu était une pratique guerrière basée sur la souplesse du corps et de l'esprit. Kano pensa que son nouvel art devait porter un autre nom, puisque le but poursuivi était différent. Il recherchait un art de vivre, basé sur une utilisation meilleure de l'énergie humaine. Il nomma cette science nouvelle " judo".

Le Kodokan

Le judo fut enseigné dès 1882, au dojo de Jigoro Kano, baptisé Kodokan ou « Ecole pour l'Etude de la Voie ».

Le premier élève s'inscrivit le 5 juin 1882; il s'appelait Tomita. Puis vinrent Higushi, Nakajima, Arima, Matsuoka, Amano Kai et le fameux Shiro Saigo. Ce dernier deviendra le champion imbattable de judo et remportera de nombreuses victoires sur des adeptes de l'ancien ju-jitsu. Ces premiers élèves étaient âgés de 15 à 18 ans. Kano les hébergeait et s'occupait d'eux comme un père. Ce fut une période passionnante, mais difficile; le jeune professeur était sans argent et le tapis mesurait à peine 20 m2! Mais son école se développa et devint célèbre en peu de temps.

 

Le Kodokan releva maints défis lancés par les professeurs du ju-jitsu. En 1883, le Kodokan changea d'adresse et transforma en dojo l'entrepôt d'un éditeur. L'année suivante, le dojo avait encore grandi et son tapis mesurait quelque 40 m2.

Deux ans plus tard, Kano fit construire un dojo dont le tapis mesurait près de 80 m2. Les rencontres entre les diverses écoles de ju-jitsu se multiplièrent. Il s'agissait souvent de concours, dont les vainqueurs devenaient professeurs à la police.

Le Kodokan remporta sa première victoire en 1886 : ses fameux élèves Saigo et Yoko-Yama s'étaient fait particulièrement remarquer. Des sections du Kodokan se fondèrent à Nirayama, Edajima et Kyoto. Le Kodokan ne connut qu'une défaite : un redoutable ju-jitsuka, nommé Tanabé, battait régulièrement tous les champions. Spécialiste du combat au sol, il parvenait à attirer ses adversaires en position couchée, puis les « étranglait » en un éclair. De ces défaites, Kano tira une leçon : il fallait perfectionner le judo au sol, et tout judoka devrait connaître la lutte en position couchée, aussi bien qu'en station debout.

Le judo est maintenant définitivement établi. D'année en année, le Kodokan agrandit son dojo.

 

Lorsque Kano entreprit ses premiers voyages autour du monde et fit pénétrer le judo en Europe et en Amérique, il confia à ses meilleurs élèves la direction du Kodokan.

En 1897, le gouvernement japonais institue une école nationale de tous les arts martiaux, le Butokukai. Le judo y est enseigné par les maîtres Isogai, Nagaoka, Samoura, Tabata et Kurihara. Bien que cet enseignement soit placé sous l'égide de Kano, le Butokukai ne tarde pas à devenir un rival du Kodokan. Quelques années plus tard, les écoles supérieures et professionnelles, patronnées par l'université impériale de Tokyo, forment une autre fédération : le Kosen. Des judokas excellents de ces deux dernières écoles font la vie dure aux champions du Kodokan.

Toutefois, celui-ci continue son ascension. Son dernier dojo est le plus grand du Japon : 185 m2. Peu de temps après, cette surface est portée au double. Le judo est, enfin, enseigné officiellement à l'école. Une synthèse harmonieuse commence à se faire jour dans les mœurs nippones. Le public ressent le besoin de se retremper dans un art de vivre, sobre et discipliné. La culture au corps et de l'esprit semble une nécessité; le judo paraît tout indiqué. Il aidera ainsi, par sa valeur interne , la restauration de plusieurs arts martiaux. Dans les classes secondaires — et même dans de nombreuses classes primaires — !e judo est inscrit au programme des cours.

Kano codifie une pédagogie du judo : le gokio, avec aide des maîtres Yoko-Yama, Yamashita, Nagaoka, litsuka. Les mouvements dangereux sont éliminés. Le gokio sera complètement révisé en 1920, par une douzaine des plus grands maîtres; il restera inchangé jusqu'à nos jours.

En 1909, le Kodokan devient institution publique. C'est à cette époque que les katas, établis pour le Butokukai, sont enseignés au Kodokan et forment les premiers fondements du judo : le nage-no-kata, le kime-no-kata et le katame-no-kata viennent s'ajouter aux ju-no-kata et itsutsu-no-kata, mis au point en 1887. Le nombre de femmes pratiquant le judo augmente : bientôt une section féminine est ouverte. Kano avait déjà pris le soin de créer un cours de formation pour professeurs. De plus, le Kodo­kan est doté d'associations culturelles, de comités de recherches, de commissions d'étude, etc.

En 1934, le Kodokan est logé dans un nouveau bâtiment de trois étages; il possède un tapis de 2.000 m2. On dit désormais du Kodokan qu'il est la Mecque du Judo. La même année ont lieu les premiers championnats du Japon.

A la mort de Kano, près de 120.000 judokas sont officiellement recensés, dont 85.000 ceintures noires. Et ces chiffres sont en dessous de la réalité, car bien des dojos privés enseignent le judo à des élèves non recensés.

Dès 1938, le climat politique laisse pressentir la guerre. Les militaristes remettent en honneur les vertus guerrières. L'entraînement aux arts martiaux est en vogue dans tout le pays. Le Butokukai devient tout puissant et forme toutes les couches de la population à l'esprit du bushido. Le judo, le kendo (escrime), le karaté (savate), le kiudo (arc) et bien d'autres sports sont enseignés dans un véritable esprit guerrier.

L'après-guerre au Japon

Après la défaite, les Américains interdirent toutes les activités inspirées du bushido. Les arts martiaux et le judo furent prohibés. ; Les judokas ne pouvaient s'entraîner que dans la clandestinité. En 1946, les professeurs du Kodokan furent autorisés à enseigner aux... troupes américaines. Puis le judo fut permis, à condition de ne pas se présenter comme un art martial, mais comme un sport. Le Butokukai fut définitivement supprimé et le Kosen dut calquer son activité sur celle du Kodokan.

Jusqu'ici, le judo avait été diffusé surtout au Japon. Seuls, Kano et quelques-uns de ses disciples l'avaient introduit en Europe et en Amérique. Quelques initiés avaient été formés en Angleterre, en France, aux Etats-Unis, en Argentine, etc. Le nouveau judo japonais allait se répandre dans le monde entier en très peu de temps.

En 1950, près de 150.000 judokas sont titulaires de la ceinture noire. L'année suivante, les forces américaines autorisent l'enseignement du judo dans les écoles japonaises. En 1952, lors du! 70e anniversaire de la création du judo, on dénombrait au Japon quelque 200.000 ceintures noires.

En 1956, le Japon organise les premiers championnats du monde à Tokyo; c'est Natsui qui en sort vainqueur. En 1958, de nouveau à Tokyo, finale du deuxième championnat du monde : Sone bat Kaminaga. Depuis la fin de la guerre, plus de 15.000 étrangers ont fait un séjour plus ou moins prolongé au Japon, afin de se perfectionner. Un nouveau bâtiment très moderne, aux larges baies vitrées, plus spacieux encore que le précédent, a été construit. Outre son immense tapis, il contient des salles spéciales pour l'entraînement des femmes, des enfants, des élèves particuliers, des étrangers, etc. Il héberge des étudiants spéciaux, ainsi quel des instructeurs à demeure.

L'après-guerre dans le monde

Jigoro Kano fit de nombreuses démonstrations et conférences en Europe et en Amérique, mais n'obtint qu'un succès très limité. D'autres Japonais eurent plus de chance. Aux Etats-Unis, le maître Yamashita eut comme élève le président Théodore Roosevelt. 

D'autres judokas y firent des séjours: notamment Nagaoka, Litsuka, Makino, Kotani, Kuashima, Yoshida, Yamanuchi.

 

On comptait plus de trente dojos aux U.S.A. avant la seconde guerre mondiale. Après celle-ci, de nombreux soldats yankees ayant suivi les cours du Kodokan revinrent enthousiasmés aux Etats- Unis. De plus, l'armée de l'air envoya régulièrement des stagiaires au Kodokan. Des experts nippons allèrent aux Etats-Unis pour enseigner les arts martiaux et le judo.

En Grande-Bretagne, le judo fut introduit par le maître Koizumi. Mais, jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, il était l'apanage exclusif d'un petit groupe. A plusieurs reprises, les judokas anglais reçurent la visite de maîtres japonais. Une association britannique, similaire au Kodokan et qui porte le nom de Budokwai, organisa le judo dans ce pays.

En France, malgré les visites de Kano et d'autres experts nippons, le judo ne connut guère de succès. Tout au plus, en 1905, Guy de Montgaillard (surnommé Ré-Nié) ouvrit une salle destinée à l'enseignement du ju-jitsu. Ses défis victorieux adressés aux boxeurs et lutteurs, ainsi qu'une adroite propagande, lancèrent un moment la mode de ce  "mystérieux art de lutte", aux prises aussi secrètes que redoutables. Un autre Français, plus aventureux encore et qui avait séjourné à Tokyo, l'officier de marine Le Prieur, devint la première ceinture noire de France. Mais, malgré la visite de Ishiguro et l'enthousiasme de quelques fanatiques, le judo ne prenait pas racine en France.

En 1935, un Japonais, Mikonosuke Kawaishi, qui s'était installé à Paris, se mit à enseigner le judo suivant une méthode personnelle. Un de ses mérites fut de marquer les grades du judoka par des ceintures de couleurs différentes.

Ensuite, il divisa les prises en groupes d'application; chaque technique fut numérotée. Ainsi une projection, où l'on bascule l'adversaire en le fauchant de la jambe sur son arrière, est une projection de jambe et, comme elle est la première projection enseignée par Kawaishi, on l'appelle tout simplement « premier de jambe ».

Et ces deux nouveautés rationnelles... et psychologiques suffirent à populariser le judo en France! Après bien des difficultés, Kawaishi avait formé plus de 100 judokas, lorsqu'il dut regagner le Japon en 1943. A son retour à Paris en 1948, il retrouva le judo français en plein essor. Il en reprit la direction et le diffusa dans l'Europe entière. Bien des critiques ont été émises (et avec raison) sur sa méthode. Kawaishi doit néanmoins être considéré comme le fondateur du judo européen. En fait, le judo s'était peu à peu introduit dans le monde et quelques initiés, disséminés dans tous les pays, travaillaient à sa diffusion. Beaucoup de ces pionniers étaient des amateurs... ou des charlatans. Quelques livres sur l'ancien ju-jitsu et sur le judo constituaient la seule source d'information de ces « professeurs » isolés.

Après la seconde guerre mondiale, le public, encore conditionné par l'agressivité de quelques années d'hostilité, ressentait inconsciemment le besoin vague de «se défendre», d'être «armé», de se sentir « fort ».

Sans le savoir, c'est ce phénomène psychologique qu'exploitèrent les pionniers du judo. La formule «la défense du faible contre l'agresseur» fit fortune. La période «magique» du judo commençait.

Bien singulier judo d'ailleurs! Les professeurs enseignaient (il y eut, bien sûr, d'heureuses exceptions) un mélange de ju-jitsu ancien, de judo, de lutte et de boxe. La self-défense était au goût du jour et bien des amateurs s'initièrent aux «terribles prises secrètes ».

Mais l'œuvre de Kawaishi commençait à porter ses fruits. Les premières ceintures noires françaises enseignèrent en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas. Des amateurs de tous pays venaient de loin pour recevoir quelques leçons d'un maître japonais. Et, peu à peu, le miracle se produisit. La technique s'améliora, les « professeurs » devinrent de vrais professeurs. Des Japonais haut gradés vinrent séjourner ou se fixer en Europe.

Peu à peu, le judo authentique de Kano fut enseigné partout. Des techniciens européens publièrent des ouvrages et la célèbre revue « Judo du Kodokan » fut traduite en français et en anglais. Cette initiative, due à un groupe de judokas enthousiastes, permit de donner cinq fois par an les textes originaux de la revue du Kodokan depuis ses débuts. L'Occident s'abreuvait ainsi directement à la source. Il n'est pas exagéré de dire que tout judoka sérieux, débutant ou expert avait enfin à sa portée une documentation unique au monde sur sa discipline favorite.

La période sportive commençait. Chaque pays organisait sa propre fédération nationale; les premiers championnats virent le jour; à Paris eut lieu, en 1951, le premier championnat d'Europe, auquel assistaient Risei Kano, le fils du fondateur du judo, qui fut nommé à cette occasion président de la Fédération internationale.

La vitalité des fédérations occidentales n'est pas sans inquiéter un peu les Japonais : le troisième championnat du monde, qui se déroula à Paris en décembre 1961, vit la victoire non pas d'un Japonais, comme cela semblait inévitable, mais du Hollandais Geessing. Ce 5e dan occidental battit l'ancien champion du monde, le 6e dan Sone. Un coup dur pour l'empire du Soleil Levant...

Mais ce résultat exceptionnel n'en démontrait pas moins que le judo était devenu universel.

A partir de cette date, de profondes modifications allaient orienter le judo vers une forme plus moderne, plus sportive et forcément moins traditionnelle.

En effet, en 1964, le judo entrait aux jeux Olympiques. C'était la consécration officielle du judo comme sport universel.

Là encore, une surprise désagréable attendait le Japon : le phénomène hollandais Geesink rééditait son exploit de 1961 en enlevant a médaille d'or « toutes catégories ».

L'introduction du judo aux jeux Olympiques avait apporté une grande innovation d'ailleurs très contestée : l'utilisation des catégories de poids en championnat.

Ainsi aux Jeux de Tokyo en 1964, les Japonais se consolèrent de la défaite en « toutes catégories » en monopolisant les médailles d'or en poids légers, moyens et lourds.

Les 4e championnats du monde eurent lieu en 1965 à Rio de Janeiro. Geesink parvint à enlever le titre des poids lourds, le titre toutes catégories » revint par contre au Japonais Inokuma, et ses compatriotes Matsuda et Okano remportèrent respectivement les titres de « légers » et « moyens ».

En 1967, les 5e championnats du Monde se déroulèrent à Sait Lake City aux U.S.A., en inaugurant de nouvelles catégories de poids. Les résultats furent les suivants :

Poids légers                  Shigedka (Japon)
Poids moyens-légers   Minatoya (Japon)
Poids moyens               Maruki (Japon)
Poids lourds-légers      Sato (Japon)
Poids lourds                  Ruska (Hollande)
Toutes catégories         Matsunaga (Japon)

     Au cours des 6è championnats du Monde à Mexico en 1969, les Japonais enlevèrent tous les titres.

Cet exploit fut presque répété en 1971, où tous les titres furent remportés par des Japonais à l'exception des poids lourds où Ruska se montra le plus fort. Il allait d'ailleurs faire mieux aux jeux Olympiques de Munich, en 1972, en remportant la médaille d'or des poids lourds et celle des « toutes catégories ». Les Japonais ne remportant d'ailleurs que les médailles d'or des catégories poids légers, moyens-légers et moyens. Par contre, en 1973, aux 8e championnats du Monde à Lausanne, les Japonais allaient encore une fois remporter tous les titres.

Toutefois ces victoires masquent un fait indiscutable : le développement extraordinaire du judo dans tous les pays du monde et le nombre croissant de champions internationaux provenant de pays aussi divers que la France, les Etats-Unis, l'U.R.S.S., l'Allemagne, la Hollande, la Corée, la Pologne, la Grande-Bretagne ou l'Argentine. En fait, les compétitions internationales telles que les jeux Olympiques ou les championnats du Monde réunissent aujourd'hui des combattants de plus de 60 pays. Faudrait-il une preuve de plus pour démontrer l'expansion universelle du judo actuel? Plus de cent pays ont inscrit officiellement leur fédération nationale à la Fédération internationale de Judo !